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Par Inbox
9 nov. · 7 mn à lire
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« A dire vrai, je m'écris à moi-même, pour comprendre ce qui m'est arrivé chaque jour »

Dans sa newsletter Masqué, Jean-Michel Dit Tout dit tout de son métier de réalisateur, de ses troubles bipolaires et de sa toxicomanie mais sans rien dire du vrai lui, parce que le vrai lui ferait total flipper son milieu socio-professionnel, pourtant jamais le dernier à s’auto-revendiquer inclusif.

Jean-Michel Choisit bien ses photos de profilJean-Michel Choisit bien ses photos de profil

"Jean-Michel Dit tout", c'est quoi ce pseudo ?

Ça part d'un sketch des Kad et Olivier, celui dans lequel Kad incarne des mauvais chanteurs des années 80 ; "Jean-Michel à peu près" parce que cet avatar-là chante à peu près des textes, ou "Jean-Michel à moitié" parce que cet autre ne chante que la moitié de ses chansons. Par la suite, cela a donné une blague facile reprise par les gens pour avoir l'air drôles et sympas. Et moi, comme j'ai envie d'avoir l'air drôle et sympa à l'écrit alors que dans la vie je ne le suis pas du tout, à mon grand regret, j'ai repris ce gimmick. Et "Dit tout", ben, c'est parce que je dis tout. 


On connaît le principe du pseudo, mais peux-tu quand même nous dire qui se cache derrière JM Dit tout ? Qui es-tu?

Un homme qui prend plaisir à la clandestinité. Toute ma vie, j'ai rêvé de disparaître. C'est même le principe de la drogue dure à haute dose : s'effacer soi-même de la surface de la Terre. Dès l'enfance, j'avais envie d'organiser mes propres funérailles, pour voir qui viendrait. D'espionner mes proches, pour savoir comment ils interagiraient dans une nouvelle vie où je n'existerais plus. J'avais la fascination de n'être plus, pour enfin pouvoir m'envoler. Pour moi, l'identité est une prison.Toutes les identités, je les rejette. Même toxicomane et bipolaire. Je veux davantage, ou alors je ne veux rien incarner. 


C’est quoi le sujet de Masqué ?

Le sujet, c'est de dire que ma toxicomanie et ma bipolarité sont des tares - pas pour moi, puisque je les admets, mais pour les autres. Toute la journée j'entends dire "lui c'est un bipolaire" à propos de quelqu'un qui a changé deux fois d'avis dans la même semaine. Ou bien "lui c'est un tox" à propos de quelqu'un qui s'est tapé une misérable ligne de cocaïne humide dans les toilettes d'un bar qui ferme à peine à minuit trente. Pourtant, toutes les deux, bipolarité et toxicomanie, sont des maladies, héréditaires. Normalement, avec la vaste tendance à la compassion pour les victimes qui agite le monde Occidental, elles devraient être accueillies comme telles. Mais non, ça reste du sale, de la poubelle de l'humanité, du méprisable


Selon toi, pourquoi tes troubles doivent rester secrets? Tu crois vraiment que ça t’empêcherait de travailler?

Oui, totalement. Je travaille parce que je me suis composé la personnalité d'un mec avec lequel on peut parler, d'un mec ouvert qui accepte la critique, d'un mec qui ne dit pas "non" tout de suite mais qui prend le temps de réfléchir. Je ris aux blagues des autres, j'en fais parfois mais des gentilles, je fume une cigarette électronique à la banane, je balance des références pour montrer que j'ai vu les bons films alors que dans les faits j'étais en after dans une cave du vingtième au moment où d'autres rentraient à la Fémis (L'école du cinéma). J'ai gommé toute trace de radicalité afin de signer des projets. Ma radicalité, je la fais passer en contrebande, sinon elle ne serait pas vendable, on ne pourrait pas en faire commerce. Lorsque je dois parler de moi en société, je n'évoque que mes expériences positives. Si je disais que je suis arrivé aux Narcotiques Anonymes avec 15 kilos de plus à cause de toute la bière que je buvais quand je tapais de la coke, le nez en sang tous les soirs, que je pleurais en réunion tant c'était dur, alors oui le regard des autres changerait, bien sûr. A présent, mon visage a dégonflé, je porte moins les séquelles de la drogue, je suis insoupçonnable. Et donc je signe des projets. Même dans le cinéma il faut être présentable. Ou alors, il faut être un génie. Et encore.


Le milieu du cinéma qui se revendique très open et met en scène « les fous » à longueur de films et de séries serait en réalité très effrayé par les troubles psychiatriques?

Les fous, sur un écran de cinéma ou dans une série, ça va. On propose au spectateur une plongée en apnée dans un univers qui l'angoisse, et qu'il a envie de connaître car justement ce n'est pas sa vie. Un poids s'envole de sa poitrine quand il sort du cinéma des Halles pour monter sur les escalators vers l'église Saint-Eustache. Mais pour confier 3 millions d'euros à un fou afin qu'il écrive, prépare, et tourne un film de 90 minutes, ça va tout de suite moins. Qui a envie de donner les clés de sa voiture à un bipolaire toxicomane ? Les sociétés de productions sont tenues par des gens qui parlent le même langage que les diffuseurs et les banques du cinéma : celui des écoles de commerce. Il n'y a plus de corsaires. 

 

Pourquoi as-tu ressenti le besoin de créer un espace alternatif d’ écriture? Et pourquoi la newsletter t’a semblé plus pertinente qu’autre chose?

Depuis très longtemps, j'avais envie de publier un roman sous pseudo. J'ai adoré lire les mémoires de "Walter", qui écrivait sous pseudonyme lui aussi ; c'était un libertin Anglais du XIXème siècle, qui racontait ses aventures sexuelles dans des tomes et des tomes de récits nocturnes, lesquels se déroulaient depuis sa jeune vie d'homme jusqu'au moment où il atteignait un âge où on ne veut plus rien savoir de ce qui se passe sous votre ceinture.

Je pense que j'ai le complexe de l'agent secret. C'est-à-dire que j'ai une vie beaucoup plus dense que je n'en laisse paraître, et parfois j'ai envie de la raconter à tout le monde, tellement ça me brûle. Alors oui, il fallait que j'écrive. Mais un roman, un éditeur aurait voulu que j'en assure la promotion. La newsletter m'a semblé être une opportunité fabuleuse.


Tu écris pour qui ? A qui ?

J'écris pour les gens auxquels je n'ose pas parler dans la journée. Toutes celles et tous ceux qui me bloquent, qui me figent, qui me glacent, et qui m'empêchent de dire ce que je pense, parce que je sens chez eux une résistance à mon point de vue sur le monde. C'est-à-dire 99% de la population. A dire vrai, je m'écris à moi-même, pour comprendre ce qui m'est arrivé chaque jour.

 

Est-ce que l’ envie / la faculté d’ écrire varie au grès des up and down liés à ta maladie?

Même dans la dépression je parviens à écrire, même lorsque je deviens suicidaire ; après je n'écris pas des contes pour enfants dans ces moments-là, j'essaie plutôt de cerner ce qui m'arrive, de définir les contours de la mort que je me souhaite de connaître, ou bien je balance des torrents de haine sur des gens et une pauvre page blanche qui ne m'ont rien fait. 

Tu écris plutôt mieux plutôt pire quand tu n’ es pas sobre ?

Pas sobre, je suis une merde, que ce soit clair. J'ai écrit un "roman avec cocaïne" (même si le titre était déjà pris). 600 pages de l'exploration de l'enfance, qui n'intéressaient que moi. A l'époque j'avais deux assiettes sur ma table de travail, une de chaque côté de mon ordinateur. Une creuse qui me servait à écraser mes clopes ; je fumais tellement que les cendriers devenaient rapidement trop petits. Une plate pour la cocaïne. Je me souviens avoir rédigé un chapitre entier sur la couleur du sperme des poissons, qui était la même que celle de ma grand-mère quand elle était en soins palliatifs. Donc sobre, c'est mieux.


Tu as des rituels d’ écriture? Des conditions idéales?

J'en ai eu. Plein. Comme travailler au lever du soleil. Travailler au coucher du soleil. Après avoir mangé une pomme. Bu un café. Sans me brosser les dents. Sans m'être douché, pour rester un peu dans le domaine du rêve (ça, parfois, je le fais encore, parce que quand même ça marche bien). Sans manger, pour ne pas écrire comme un idiot satisfait de lui. Sans boire. Pléthore. Mais en me débarrassant de la drogue je m'en suis débarrassé aussi. Aujourd'hui je peux écrire à n'importe quelle heure, dans n'importe quelles conditions, pourvu que j'aie bien dormi la veille. Et je me couche tôt, désormais. Enfin, pas tard.


Il se passerait quoi si tu étais démasqué?

Je ferais comme tous ceux qui se font attraper et qui savent comment gérer : je nierais tout. Mais sérieux, j'ai changé une donnée fondamentale dans ce que je raconte sur moi, et bien malin qui pourrait comprendre laquelle. Celui ou celle qui y parvient, je lui paye une raclette.

Retrouvez ici Masqué, la newsletter la plus mystérieuse et énervée de Kessel.