“Garantie sans gestes techniques et sans fioritures !” C’est ainsi que Thomas Bigot traduit, deux fois par semaine, dans sa newsletter “Paru près de chez vous” les nouveaux textes de lois parfois incompréhensibles et soigneusement cachés dans le Journal Officiel.

Hello Thomas, pour celles et ceux qui ne te connaissent malheureusement pas, pourrais-tu te présenter en quelques mots ?
J’ai 31 ans et je suis juriste de formation et de métier. Je suis également présent sur Twitter depuis 7 ans de manière active et c’est là que j’ai commencé à faire mes armes en matière de vulgarisation juridique sur les aspects à la fois techniques mais surtout sur l’actualité.
Tu fais quoi sur twitter pour que les gens s’intéressent au Droit ?
J’ai commencé par faire des live tweets d'audiences. J’ai notamment couvert toute l’affaire sur le burkini avec toutes les bêtises qu’on a pu entendre sur le sujet. Et c’est là que j’ai vu que ce que je faisais intéressait les gens, qu’il y avait un espace pour la vulgarisation dans ma spécialité, à savoir le droit public, puisque j’ai pris pas mal de followers à ce moment-là.
Qu’est-ce qui t’a amené à faire ça ?
J’ai toujours bossé en ministères. Être à l’intérieur de la machine a nourri ma réflexion. Quand tu es juriste, comme pour d’autres expertises, tu as des compétences que d’autres n’ont pas. Et sur un réseau comme Twitter qui est très politisé, c’est très utile car la sphère juridique n’est jamais loin du politique et des décisions prises, et surtout des textes publiés qui changent la vie des gens sans qu’ils le sachent forcément.
En gros tu débunkes les textes juridiques pour nous ?
Le droit, c’est un peu quelque chose qui est fait dans la bureaucratie pure et dure, et certaines décisions sont pilotées par des hauts cadres de la fonction publique. Ce qui a du mal à redescendre dans la sphère du commun des mortels. Du coup, bossant dans l’action publique et devant vérifier la légalité de l’action publique de chaque ministère dans lesquels j’ai bossé, je trouvais ça intéressant d’ouvrir ces connaissances à plus de personnes. Et Twitter m’a permis d’apporter une petite dose critique que je ne pouvais pas me permettre en tant qu’agent public.
Comment on gère la double casquette d’agent et de critique ?
J’ai un devoir et un esprit de loyauté c’est vrai. Mais je pense que tout est compatible parce qu’être agent du service public implique d’avoir un certain sens critique et un devoir d’alerte pour un certain nombre de choses. Ce qui fait que je ne cherche jamais à critiquer pour critiquer malgré des convictions personnelles parfois différentes, mais mon but est avant tout d’expliquer un texte de loi, un décret, et d’expliquer pourquoi telle ou telle chose est illégale ou pas. Pour prendre un exemple, si on prend les camps de Calais, on se rend compte que le ministère de l’intérieur et la mairie font n’importe quoi et se font bananer par la Cour Européenne des Droits de l’Homme. J’essaye de rester constructif quand j’émets une critique, que j’estime scientifique plus qu’idéologique. Je raccroche toutes mes critiques à mes compétences juridiques et je ne suis pas là à aller au lance flamme déclarer qu’il faut débrancher Macron ou un autre sous prétexte que je ne serais pas d’accord idéologiquement.
C’est ce qu’on retrouve dans ta newsletter “Paru près de chez vous”?
Oui, c’est de la prise de hauteur par rapport aux textes de lois et réformes parus dans le Journal Officiel. Le J.O, c’est l’endroit où toutes les lois amenées à entrer en vigueur sont inscrites. Et au cours de mon travail quotidien de veille juridique, j’ai développé l’idée qu’il y avait peu de choses dans notre société qui étaient aussi structurantes et collectives que le Droit et en même temps, aussi peu accessibles puisque beaucoup de ces textes concernent directement la vie des gens mais peu d’entre eux sont vraiment connus ou communiqués de manière claire et compréhensible.
Ça n’est donc pas une newsletter de juriste pour les juristes ?
Absolument, ça n’est pas du tout mon projet. Mon but c’est de “traduire” le J.O pour que tout à chacun puisse comprendre ce qu’il en ressort pour lui. C’est donc au contraire destiné à servir de source d’informations plus universelle.
Comment on se prend de passion pour le J.O ?
Tu te doutes bien que ça n’est pas une passion dévorante que de l’éplucher tous les jours. Simplement, je le fais pour mon job et je pense sincèrement que ce travail de vulgarisation peut servir à n’importe qui. Par exemple, quand un journaliste non expert en Droit me dit qu’il a utilisé ma newsletter comme source d’information pour écrire un article sur telle ou telle loi, ça me fait plaisir car le but est là, devenir une source d’informations pour tous et toutes. C’est toujours une histoire de contenant et de contenu. Si t’arrives pas à ouvrir ton pot de confiture, tu ne peux pas accéder à ladite confiture. Et c’est dommage parce qu’elle peut-être savoureuse. J’ai beau avoir 5 ans d’études de droit derrière moi, ce sont mes expériences dans les Administrations qui me permettent aujourd’hui de traduire en Français commun tout ce que le J.O comporte.
C’est quand même un problème qu’il faille cette initiation pour comprendre des choses qui nous concernent tous ?
C’est vrai qu’il y a énormément de gens qui s’efforcent à faire en sorte que le pot de confiture soit difficile à ouvrir.
Et pour toi c’est compliqué ?
Parfois, pour les 2 phrases que je vais écrire pour résumer ce qu’un paragraphe signifie, il me faut 1h, 1h30 avec 18 onglets legi-france ouverts sur Google Chrome. Ça fait 7/8h par semaine. Je n’ai pas le choix que d’être rigoureux dans la lecture et dans l’écriture car je ne peux pas raconter de conneries. Sinon, pour info, je publie deux newsletters par semaine, le lundi et le jeudi.
On parlait tout à l’heure d’une certaine volonté de rendre les infos difficiles d’accès. C’est un peu paradoxal à une époque où n’importe qui s’exprime sur n’importe quoi non ?
C’est un autre moteur de cette newsletter pour moi. Je me bats continuellement pour remettre la communication politique à sa juste place. On donne trop d’importance aux annonces politiques, aux communiqués de presse à l’issue des Conseils des Ministres le mercredi, aux matinales où l’on dit “on va faire ceci, on va faire cela”. On ne donne pas suffisamment de visibilité aux mesures concrètes et ce que ça engendre sous prétexte de la technicité. Tous les jours, on a des personnalités politiques qui font des promesses en promettant ceci, cela. Moi, je préfère dire aux gens ce qui va concrètement ressortir de tout ça et la réalité des choses.
Et la newsletter t’apporte quoi de plus que ton compte twitter ou qu’un blog ?
J’aime l’idée de m’adresser à une personne qui a choisi de me lire. Il y a un côté plus personnel dans la démarche. Sur Twitter, j’ai pas l’impression de parler à quelqu’un, mais à une masse. Le fait de m’adresser à des gens qui ont choisi de me lire est beaucoup plus responsabilisant également puisque les gens qui nous lisent font “l’effort” de cliquer sur notre newsletter. J’aime bien ce lien de “proximité” plus prononcé qu’un réseau social où l’on s’abonne à tout et parfois n’importe quoi en disant que peut-être un jour ça va m’intéresser. Il ne faut également pas oublier que sur Twitter, on est jamais à l’abri de se prendre une armée de trolls pour rien, ce qu’on préfère tous éviter. J’ai l’impression que c’est le chemin inverse avec la newsletter. Les gens sont plus propices à complimenter la démarche, l’effort et l’engagement, du coup c’est encourageant.
Tu penses que l’avenir de l’info ne passe plus par les réseaux sociaux ?
Je ne sais pas mais c’est un problème que tout passe par des algorithmes, qu’il n’y ait finalement que très peu de modération et qu’on nous fasse croire qu’une opinion en vaut une autre alors que ça n’est absolument pas le cas. Surtout que la plupart des opinions poussées sur les réseaux le sont dorénavant par des armées de militants plus ou moins réels quand c’est pas carrément des bots pour influencer des lecteurs. C’est la règle du plus grand nombre qui décide du gagnant. Tout ceci favorise le manque de recul sur les choses, c’est gênant au niveau de l’éthique et c’est finalement très asphyxiant. Moi, je n’ai aucun problème avec le fait que les gens sur les réseaux sociaux s’indignent souvent, bien au contraire. Ce que j’aimerais, c’est que les gens s’indignent sur des sujets qu’ils choisissent vraiment, pas sur des sujets qui répondent à un agenda politique de communicants qui servent les intérêts de camps et non des gens. Je préférerais qu’on s’indigne sur un texte publié sur lequel on est en désaccord plutôt que sur une phrase à la con d’un ministre ou d’un député.
3 arguments imparables pour s’abonner à ta newsletter ?
C’est clair et simple, asséché et pas aussi engageant qu’un livre d’Emile Zola.
C’est pas moi qui décide ce qu’il y a dedans, mais le gouvernement qui pond les textes. Ce que je mets dans cette newsletter est donc plus intéressant pour vous que ma vie personnelle.
Parfois il y a des blagues quand il me reste du jus de cerveau.
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