Journaliste ? Chroniqueuse ? Blogueuse ? Autrice de 3 livres ? Prof d’écriture ? Charlotte Moreau, c’est tout ça à la fois. Et plus encore. Pour le lancement de sa newsletter sur Kessel, nous avons eu le plaisir de la rencontrer et d’échanger sur ce qu’est l’écriture. Et plus encore.

Kessel : Si tu devais te présenter à un(e) inconnu(e) dans la rue, que lui dirais-tu ?
Charlotte : Je fais partie de ces gens incapables de faire une note vocale de moins de 3 minutes. Donc tu comprendras que mon esprit de synthèse n’est pas mon point fort… Sinon, je dirais à cette personne que je suis Charlotte, essonnienne jusqu’à l’os, born and raised in Essonne et que mon métier, c’est d’écrire et de former des gens à l’écriture. J’ai une formation de journaliste, je suis d’ailleurs essentiellement journaliste et mes premières piges datent de mes 19 ans. Aujourd’hui j’en ai 41. Ça fait donc plus de 20 ans que j’écris pour vivre. J’ai commencé par la presse écrite, au Parisien, j’y ai opéré pendant de très longues (et belles) années. Je suivais notamment le milieu de la culture et l’actualité des people. Depuis maintenant un certain nombre d’années, j’écris davantage sur moi via un blog mode que j’ai créé et qui a en fait été un prétexte pour faire un peu plus d’introspection et dériver sur des sujets complètement déconnectés des vêtements, davantage centrés sur l’intime, pas dans le sens des relations amoureuses, mais plutôt au niveau du “””“développement personnel””””, avec tous les guillemets possibles (nous en avons mis quatre) sur ce terme, qui a si mauvaise presse en ce moment. Je traite par exemple de ce qu’on affronte quand on fonde une famille, quand on arrive à la trentaine - voire la quarantaine - le rapport au travail, à la responsabilité, à soi, aux relations sociales etc…
Pourquoi ces sujets ?
Je pense qu’il y a une part de personnel. Moi, j’ai été élevée avec un fort désir d’être validée et j’en suis encore là. Et j’essaie donc de détricoter ce truc là même si ça sera certainement le chantier d’une vie.
Et c’est ce que tu vas continuer de faire sur Kessel ?
Oui, mais pas que.
Ah ! C’est-à-dire ?
J’ai deux projets sur Kessel. Le premier, déjà disponible, est effectivement la continuité de ma newsletter “””“développement personnel”””” / société que je fais depuis 3 ans avec un épisode par mois. Mais à partir de la rentrée de septembre, roulement de tambours, je lance quelque chose de totalement nouveau : une série à feuilletons sur mon monde d’avant, à savoir les coulisses de mes 15 ans de journalisme en rubrique culture/people/médias au Parisien. Et c’est aussi là que mon côté “essonnienne” prend tout son sens puisque le prisme sera le mien, à savoir quelqu’un issu de la très grande couronne parisienne, pas forcément à l’aise dans les endroits branchés et qui se retrouve à côtoyer et suivre des célébrités dont, en plus, elle n’est pas forcément le public. Je vais donc raconter comment je deviens une sorte de maillon intermédiaire entre ces mondes et je trouve que cette position en clair/obscure permet de raconter des choses uniques.
Les gens seraient presque amenés à te dire que ça ferait un bon livre…
C’était mon idée initiale.
Qu’est ce qui a fait que tu as décidé d’opter pour le format de la newsletter ?
Plusieurs choses en fait. Tout d’abord, écrire un livre et le publier, c’est une expérience géniale que j’ai eu la chance de pouvoir vivre plusieurs fois. C’est néanmoins une montagne de travail qu’on imagine peu. C’est un an, deux ans d’écriture, en secret, dans ton coin. En plus de l’écriture, il faut penser à l’architecture de l’ouvrage etc. Tout ceci prend un temps fou qui, pour ne rien arranger, est très mal rémunéré. Une fois que tout est prêt et publié, tu as 15 jours de promo où tu te vends et ensuite, c’est fini, plus rien, le vide. C’est finalement assez douloureux pour pas grand chose. J’ai donc vraiment eu envie de faire autrement, de raconter ces souvenirs et expériences en immersion, comme si le lecteur y était. Et j’ai eu peur qu’avec le temps, les souvenirs s’effritent et me paraissent moins palpables. Il me fallait donc trouver un moyen de pouvoir raconter tout ceci dans des conditions idéales et la newsletter m’est apparue comme étant le format parfait, en plus de pouvoir développer encore plus la relation avec les lecteurs.
La newsletter apporte quoi de plus selon toi, par rapport à un blog par exemple ?
L’intimité de la messagerie de mes lecteurs. Je ne m’en rendais pas compte avant de l’avoir expérimenté. Le format de la newsletter m’a permis d’aller plus loin dans mes écrits. J’écris davantage sur des choses profondes, parfois même sur des sujets très personnels, ce que je ne me serais pas permis sur mon blog ou quelque chose de très public, même si j’ai de la chance de ne pas avoir connu beaucoup de trolls jusqu’à présent dans ma communauté.
Ça a été quoi ton déclic ?
Quand j’étais journaliste au Parisien, entre 24 et 38 ans, je tenais en parallèle un blog mode. J’ai alors pris la décision de compartimenter ces deux parties distinctes de ma vie. Je ne voulais pas tout mélanger. Par exemple, quand je rencontrais quelqu’un qui connaissait mon blog ou mon activité sur les réseaux, j’étais super gênée et à l’inverse, sur les réseaux, je ne partageais rien de ce qui avait attrait à mon travail, alors que je voyais des stars et que je voyageais à l’autre bout du monde. Et j’ai compris que je me freinais beaucoup en fait durant cette période, j’étais même un peu schizo. Mais à partir du moment où j’ai réalisé que je bossais 60h par semaine, à l’autre bout de l’Île de France en plus, et que je voulais avoir un deuxième enfant, tout ceci n’était plus possible pour moi donc stop. J’ai quitté mon job, alors même que je l’aimais encore, pour justement continuer d’apprécier ce que je faisais. Ça n’a pas du tout été facile, j’ai connu un vrai spleen après mon départ, mais ça m’a permis de réconcilier mes deux identités et j’ai d’un coup réussi à me lâcher un peu plus dans des écrits plus personnels une fois que je n’étais plus Charlotte du Parisien.
Si tu avais pu, tu aurais changé les choses avant ?
Non, je ne pense pas. Je pense aussi que ce choix a été rendu possible parce que j’approchais la quarantaine. À 25 ans, je n’aurais pas eu grand chose à raconter en plus. Là, je me dis que je suis pas mal en termes de parcours existentiel. En plus, la quatrième décennie, c’est presque l’âge idéal pour commencer à écrire sur soi puisqu’on arrive à l’âge où des problématiques différentes se présentent, vis-à-vis de nos parents par exemple, où le rapport s’inverse et que ça commence à être à nous de les protéger et plus l’inverse.
Ton âge est important ?
Je répète beaucoup que j’ai 41 ans, c’est vrai. Cet âge me permet en tout cas une grande liberté sur ce que j’ai à raconter, sur ce que je vis aujourd’hui et il me permet de me remettre dans la peau de ce que j'étais il y a 10/15 ans. C’est comme si j’avais un double regard. Celui du temps réel et celui du recul acquis. Je trouve ça très précieux de pouvoir vivre plusieurs fois les choses, et c’est pour ça que j’encourage les gens que je forme à écrire sur ce qui leur arrive et non pas forcément à toujours chercher un sujet de roman échevelé. Parce que le réservoir narratif de chacun est inépuisable.
Et qui te lit en premier ?
Personne. J’ai pris l’habitude d’être très peu relue depuis l’époque où j’écrivais pour le dernier bouclage de la journée au Parisien. J’ai toujours été sans filet et c’est un truc que j’ai gardé. Je n’ai aucun intermédiaire entre moi et la publication.
C’est volontaire ou une habitude ?
C’est une habitude MAIS je dois admettre que je suis assez psychorigide sur mes textes… Je détestais être coupée par exemple au Parisien, j’écrivais donc au signe près pour être absolument sûre qu’on ne touche à rien. Je suis assez control freak et je ne cherche pas à améliorer mon texte par le filtre d’un relecteur. Je sais quand mon texte est fini, j’adore cette sensation presque physique une fois que tout est bouclé et quand JE sais que ça l’est. Ça ne veut aucunement dire que le texte est parfait, qu’il ne peut pas être meilleur. Je le trouve simplement authentique et loyal à ce que j’ai voulu transmettre à ce moment-là. C’est un effet de sincérité plus important pour moi que le reste.
C’est quoi tes conditions pour écrire ?
Beaucoup rêvent d’écrire au premier étage du Café Flore, moi j’ai un autre fantasme, aller écrire à Buffalo Grill, parce qu’ils servent tout au long de la journée, leur banquette est trop cool, leur musique aussi et leurs serveurs toujours gentils. Le seul truc qui m’en empêche, c’est que je sais que je serais mal installée au bout d’un moment car oui, je suis très attachée au confort. Je préfère donc rester pragmatique et bien que je pense beaucoup à mon ostéopathe, j’ai renoncé totalement à l’idée d’aller écrire dehors, dans un parc ou dans un café car j’ai besoin d’être bien installée, d’avoir mon double écran et de préserver mon dos. J’ai d’ailleurs un autre rêve fou : avoir un fauteuil de gaming. Oui. Il faut dire qu’à l’époque où je bossais au Parisien, j’écrivais toujours le soir, en 30 minutes et un peu à l’arrache parce qu’on n’avait pas le temps. Maintenant que je suis indépendante, je découvre le bonheur en écrivant le matin quand tout le monde dort et que je me réveille en premier.
C’était quoi tes modèles quand t’étais plus jeune ?
Toujours des gens qui écrivaient à la première personne. J’ai grandi avec les articles de Sophie Fontanel dans “Elle”, pour qui je bosse aujourd’hui et qu’on se passait au fil de la semaine avec mes sœurs quand on était bien plus jeunes. J’adorais ses chroniques, elle arrivait toujours à endosser des sujets de société avec personnalité et humour et je me suis dit que mon job de rêve, c’était ça. Parallèlement, je regardais Sex & the City et même si je ne me voyais pas tenir une rubrique sexo comme Carrie Bradshaw, je fantasmais la vie qu’elle avait… Son petit macbook, le fait qu’elle écrive de chez elle sur son lit et le fait qu’elle arrive à s’en sortir financièrement avec le peu qu’on la voit écrire. Ces deux figures féminines de chroniqueuses indépendantes nomades, dans un cadre urbain un peu glamour, qui ne travaillaient pas dans un open space, avec un rapport assez autocentré à l’écriture me faisaient rêver.
Et ensuite ?
Quand j’ai commencé à travailler au Parisien, on était pas du tout au Flore ou à Manhattan, mais en Seine St Denis. Ce qui veut dire qu’à chaque fois qu’on devait aller en reportage, le temps de trajet était interminable, mais ça m’a donné l’occasion de couvrir le travail de Loïc Prigent, notamment quand il bossait avec Mademoiselle Agnès pour Canal. J’ai découvert une personne d’une très grande bienveillance et d’une très grande précision dans ce qu’il fait. Je suis fan de son travail, de son esprit, de sa plume et de sa façon de raconter l’hystérie d’un milieu en trouvant ça génial que des gens jouent leur vie sur des choses futiles, le tout sans aucune cruauté ou jugement négatif mais avec une pointe d’espièglerie. C’est vraiment devenu une grande influence et je me suis toujours dit que j’aimerais beaucoup avoir ce regard là moi aussi, à savoir de trouver ça génial que des gens soient à fond sur un truc, quand bien même d’autres trouvent et jugent ça ridicule.
Qu’est ce que t’aurais aimé savoir avant de commencer à écrire des choses personnelles ou de la fiction ?
La charge mentale de l’auteur est insoupçonnée. J’incite néanmoins les gens qui ont envie d’écrire à s’autoriser à le faire. S’il y a une chose que je n’aurais pas pu comprendre plus tôt, c’est que le moment où l’on prend le plus de plaisir, où l’on se sent le plus libre c’est avant toute publication. On est trop souvent focalisé sur la parution, l’accueil du public, les retours qu’on peut avoir, le succès ou pas… et on perd beaucoup d’opportunités d’être heureux en se mettant ce stress. Il faut savoir qu’il y a très peu d’enjeux concernant les publications. Les livres se vendent très peu. Un best seller, c’est peu d’exemplaires par rapport à l’image qu’on s’en fait. On est loin des 100/200 000 ventes. Un best seller c’est 20000. On peut donc éviter de mettre trop de pression parce qu’en plus, la sortie d’un livre est diluée dans une marée d’autres livres. Ce qui est important, c’est la relation émotionnelle qu’on tisse avec son texte. Ce lien existe quand tu construis ton œuvre. Parce qu’une fois que ton livre est fini, et bien c’est le vide. Vraiment. On a jamais vraiment la main sur la parution, qu’il s’agisse d’un livre ou d’un texte. Ce qui compte, c’est le bonheur qu’on ressent quand on écrit une phrase qu’on ne soupçonnait même pas. Le plaisir est là. On écrit pour soi au fond, le reste est un bonus.
Quelle place accordes-tu à tes lecteurs ?
J’ai la chance d’avoir des personnes qui me suivent depuis la création de mon blog, qui d’ailleurs n’existe plus car il a cramé en même temps que les locaux d’OVH…. Mais les lectrices, car j’ai essentiellement des lectrices, elles, sont restées. Les posts de blogs très courts, parfois mal assemblés sont même quelquefois devenus un prétexte pour échanger parce que contrairement à des influenceuses par exemple, j’ai la chance de recevoir beaucoup de gratitude et de bienveillance de la part de celles et ceux qui me suivent. J’aime que mes lecteurs et lectrices vieillissent et évoluent avec moi. Avoir construit ça et savoir également que mes écrits résonnent en eux et verbalisent certaines choses non dites est important en plus d’être chouette. C’est même parfois un peu flippant de se dire que les gens que je n’ai jamais vraiment rencontrés et qui me suivent me connaissent vraiment hyper bien. Ils ou elles anticipent même mieux mes réactions sur certains sujets que des membres de ma famille, c’est flippant mais pas si fou car contrairement à la vie réelle où l’on occupe parfois un rôle ou une fonction, dans l’écriture sur les réseaux, on est soi-même, car on se confie un peu à l’inconnu, sans le filtre du regard. Et c’est plus facile.
Si tu devais sauver 3 œuvres de ta bibliothèque ?
Je vais te répondre par des œuvres très récentes, et choisir les 3 livres qui m’ont bluffé lors de la rentrée littéraire de 2021. Connemara de Nicolas Mathieu, Feu de Maria Pourchet et Le voyant d’Etampes d’Abel Quentin. J’ai tellement ri en lisant ce livre si intelligent sur l’appropriation culturelle, le mouvement Woke etc. Globalement, en termes d’écriture, ces livres sont des phares. Ils me donnent l’impression d’être chez moi, pas parce que j’écris aussi bien, mais parce que j’ai envie de tendre vers ça. Donc si je dois me barrer de chez moi avec trois bouquins, je prendrais ces trois là, parce qu’ils peuvent m’aider et m’apporter beaucoup dans mon perpétuel questionnement sur l’évolution de mon écriture.
Tu serais flattée que ____ adore ce que tu écris ? (remplir l’espace)
Nicolas Mathieu. Je sais, c’est cliché, c’est l’idole des filles, elles aiment toutes ce mec, je peux paraître comme une groupie de plus et c’est ridicule mais je me sens tellement en phase avec tout le côté périphérie du cool qu’il arrive si bien à retranscrire. J’ai d’ailleurs parlé une fois avec lui sur Instagram car je l’avais tagué sur un truc qui l’avait fait marrer et j’avoue…. ça avait fait ma journée !
Tu serais embarrassée que ____ apprécie ce que tu fais ?
Alors je sais qu’on dit que quand on plait à tout le monde, c’est qu’on ne plait à personne. Mais moi j’aime tellement qu’on m’aime que je prends toutes les validations. Dire l’inverse relèverait de la posture en ce qui me concerne.
Trois arguments imparables pour s’abonner à ta newsletter ?
Mon esprit de synthèse une nouvelle fois mis à rude épreuve… Alors, d’abord, elle traite du cap de la quarantaine. Ensuite, elle traite du cap de la quarantaine, vu de l'Essonne, et pas besoin d'aller plus loin qu'en banlieue parisienne pour découvrir la périphérie du cool. Enfin, parce que la périphérie du cool, c'est le new cool.
Interview réalisée par Nicolas Deparcy, auteur, notamment, de la newsletter En marge.