"Pour écrire des choses, il faut en vivre" : Inès A., de l’expertise comptable au Comptoir.

“Qui s'y frotte, cynique.” Quand il s’agit de mots ou de direction artistique, Inès est clinique. Créatrice du compte Instagram Le bitch Club, qui cumule 150 000 abonné.es, elle vient de lancer Comptoir, sa newsletter sur Kessel, dans laquelle elle dit tout, ou presque. Et qui confirme que derrière la punchlineuse se cache une autrice de talent.

InBox
11 min ⋅ 02/09/2022

Très bien, merci j’ai 34 % de batterie sur mon ordinateur et un café froid, parfait.

Un café froid ? Moi qui croyais que tu prendrais une pinte…

C’est l’apéritif du matin… On peut facilement s’imaginer que je suis tout le temps bourrée, mais c’est un mythe.

Certains t’ont découverte via Le bitch club sur Instagram. Tu peux nous expliquer ton parcours sans que cette interview ne devienne un entretien linkedin ?

Je suis née à Nantes le 23 août, il y a 32 ans. J’ai suivi un cursus plutôt scientifique et je me suis dirigée vers des études d’expertise comptable. À la maison, il y a deux écoles : le littéraire est soit une coquetterie, soit un savoir-être inné et élémentaire. On ne s'y appesantit jamais. Pendant mes études, j’ai fait ce qu’on appelle un burnout estudiantin. Il m’était devenu impossible de m'asseoir à une table avec ma calculatrice et tout l’attirail qui m’était destiné. Je n’allais pas très bien à cette époque et la seule personne que j’arrivais à voir, c’était la caissière du supermarché d’à côté. J’ai donc décidé de me reconvertir et de faire une école de communication, dans l'événementiel, mais le niveau était vraiment minable. J’avais en tête, par la suite, de réaliser une école de marketing : à la croisée des chemins entre les chiffres, la socio et les exercices plus littéraires.

Et du coup ?

Globalement, quand je suis dans mon biotope, j’aime les défis intellectuels. Je préfère me sentir la plus idiote de la pièce. Cela me rassure quant au chemin que je suis en train d’emprunter. Je passais d’une classe où j’admirais mes camarades à une autre, composée à 80 % de personnes n’ayant rien à faire dans le supérieur. Le jugement paraît difficile mais vous seriez catastrophé.es par quelques anecdotes. Parfois, il ne faut juste pas forcer et cela vaut pour moi aussi. Je l’ai appris. Je suis persuadée que la communication est une discipline intelligente et stratégique. Malheureusement, aujourd’hui, c’est le meilleur moyen d’obtenir un bac + 3, + 5 sans se fouler et sans aucun niveau. J’ai donc continué en Master de Brand Management et j’ai ouvert ma boîte. Je travaille maintenant pour des marques, je façonne leur identité de marque et j’assure leur comm’. Sur le principe, c’est ce que j’adore faire : trouver un nom et proposer une bombe marketing inédite.

Je trouve que la comm’ est trop souvent prise d’assaut par les effets de mode. Tu en penses quoi ? 

J’en parle un peu dans le billet , tout le monde fait plus ou moins la même chose dans la comm’, utilise les mêmes approches, les mêmes mots. Aujourd’hui c’est la mode des apostrophes en “Tu veux…?” : “  Tu veux augmenter ton CA gratuitement ? ”, “Tu veux du succès sur les réseaux ?” , etc. C’est Caméra Cafesque. On voit cela partout car “Ça fonctionne !”. Moi, j’ai horreur du “ça fonctionne”. C’est même pas un minimum le “ça fonctionne”, c’est reproduire ce que les autres font déjà : plagier, dropshipper... C’est un aveu de médiocrité et de laisser-aller. C’est prendre sa cible pour un con. Ça n’élève personne.

Ça devait effectivement être compliqué de passer de l’exigence des maths et de la compta au fourre-tout de la comm’... Comment on s’y fait ? 

J’adore l’idée des mathématiques : elles ont une logique brute, universelle, très pure. On raisonne dans un paradigme qu’on choisit, puis l'on développe avec des codes admis. Je suis persuadée que c’est dans un cadre déterminé et posé que l’on peut le mieux exprimer sa créativité. L’écriture et la communication sont à mon sens des exercices très logiques : introduction, développement, conclusion… le bon message aux bonnes personnes. Il s’agit de se faire comprendre, de partager des choses avec des signes intelligibles par tous.

Et comment tu t’es mise à l’écriture ?

J’ai toujours écrit avec plus ou moins de talent, à tout âge. Ça n’a pas été une révélation sur le tard. J’ai également adopté les réseaux sociaux très tôt. J’étais l’une des premières dans mon entourage à utiliser Instagram, Facebook etc… Je n’avais pas le droit de sortir et très peu d’amis “physiques“. Les réseaux sociaux m’ont permis d’être lue et… je crois que c’est pour cela que l’on écrit. En grande partie.

C’est grâce à internet que t’écris finalement ?

Oui, c’est même ainsi que j’ai vraiment réussi à m’améliorer. C’est un combat de chaque jour. J’avais une technique un peu spéciale pour m’améliorer en orthographe, répartie… Dès 12 ans, je me rendais sur des tchats, wanadoo en l'occurrence, et je parlais avec des gens plus âgés. Je faisais très attention à ce qui pouvait sortir sous mes doigts, mon âge ne devait pas percer. Puis j’ai lu, je me suis documentée… sur l’outil “ordinateur” c’était beaucoup plus facile.

Tu as lancé ta newsletter “le comptoir d’Inès”. Peux-tu m’expliquer le concept ?

Ça fait enseigne/épicerie fine de province. Ma newsletter c’est “Comptoir”. Je suis la rédactrice de Comptoir. À table, je développe des thématiques de société et je n’ai pas peur de partager mes agacements. C’est une énergie - comme une autre - et c’est aussi mon fonds de commerce. Certains fédèrent autour de ce qui va bien… Parce que c’est cool et que le positivisme fait vendre, c’est là où on souhaite tous aller… Personnellement, je souhaite ouvrir la discussion sur ce qui pose problème et mérite un approfondissement. C’est comme cela que j’ai toujours avancé et rencontré des gens géniaux avec lesquels je partageais des valeurs sûres.

Qu’est-ce qui t’a poussé à aller vers le format newsletter ?

C’est une approche différente et nouvelle. J’aime l’esprit de communauté de Kessel. On se retrouve, chacun dans son style, et dans le respect, autour d’un projet commun. Ça n’est plus Inès qui publie sur son blog en espérant être lue et…. voilà. Je fais désormais partie d’un concept auquel j’adhère : la newsletter dédiée à la rédaction gratuite et/ou payante. C’est la version chic du “tipping”. Cela me permet d’aller plus loin que sur Instagram où il s’agit d’être synthétique en général.

Tu imaginais comment ta vie d’autrice avant de te lancer ?

Dans des cafés parisiens, bien habillée, à noircir des carnets pendant des matinées entières et passer mes après-midi à faire du shopping. Globalement, je m’imaginais un peu recluse, isolée et dans le calme car je ne supporte pas le bruit et l'effervescence en permanence m'oppresse vite.

Et du coup dans la vraie vie ?

Je suis assez sauvage, je m’entoure de très peu de personnes fidèles que j’admire pour leur intelligence. Ils me nourrissent et m’inspirent. On échange, on prend toujours le temps. Surtout, ils sont très calmes. Je peux faire la fête avec n’importe qui mais le quotidien, le café le matin, la discussion, c’est select'. J’ai aussi besoin de respiration et de silence “autour” car c’est agité à l’intérieur.

T’écris donc chez toi, dans ton bureau ?

Il y a un côté “punition” et “faire ses devoirs comme à l’école” quand on s’impose d’écrire à la maison. Chez moi, c’est surtout pour la retranscription des textes, la correction des fautes etc. J’ai conscience des limites de l'autarcie : pour écrire des choses, il faut en vivre. Je suis tout de même sociable, je séduis souvent… Je pense vite comprendre la psychologie de mon interlocuteur. Pour autant, comme je ne cherche pas à manipuler ou baigner dans quelque chose de béat, parfois je décide de ne pas être consensuelle. Je décide de ne pas plaire. Je trouve cela plus sain et plus franc. On confond souvent et à tort “être psychologue” et “être démagogue”. Sinon, oui, le café est l’endroit idéal pour écrire : on peut s’y isoler avec des écouteurs tout en profitant d’un peu d’effervescence.

Tu écris sur papier ? 

Oui, mais c’est plus pour des questions logistiques. Je n’ai pas envie de trimballer mon vieux Macbook partout. J’ai donc toujours un carnet dans mon sac.

Mais du coup, tu écris tes textes complets sur le papier à la manière des plus anciens ?

J’avoue tout : j’écris des punchlines et je brode mes textes autour. Mon cerveau fonctionne comme ça, il synthétise rapidement les idées. Je conceptualise vite avec beaucoup d'instinct. Parfois, ça me dépasse. En écrivant, en développant, je fais des ponts et tout me paraît logique. L’écriture c’est le plaisir de partager cet effort et ce résultat.

Qu’est ce que tu aurais changé pour te lancer ?

J’aurais aimé m’être mieux orientée dès le début. Tout ce que j’ai fait m’a apporté une expérience, ok, mais si j’avais pu éviter de perdre autant de temps, ça n’aurait pas été plus mal. Je déteste cette manie de se réjouir des mauvaises expériences. Via la critique, je fais quelque chose de “ce négatif” mais jamais je ne remercie le ciel ou le sol d’être tombée.

Tu te mettais des freins au début ? 

J’avais envie d’écrire alors je l’ai fait. Je ne me suis posé aucun frein. Les freins s’imposaient naturellement : les critiques, le manque de temps... Je trouve cela idiot de persévérer quand on a pas la fibre (cf. le passage sur les études dans la communication). En l’espèce… j’avais tellement envie et besoin d’écrire que j’ai tout fait pour bien y arriver.

C'est-à-dire ?

Et bien j’écrivais mal au début : je faisais des fautes, mon style était lourd, j’en disais trop ou pas assez. Mais, quand je vois le niveau de certains, je relativise et je suis catastrophée. Je ne parle pas de “niveau de langue“, hein, mais de logique et de psychologie dans le discours. On est parfois dur avec soi-même…

Ça n’est pas dans l’air du temps mais je trouve que c’est important d’être exigeant avec soi-même. C’est ainsi que l’on respecte les autres. Beaucoup se cachent - en ce moment - derrière “la résilience“. Ils font de la merde et il faudrait les applaudir. T’as besoin d’être validée ?

S’il s’agit d’être honnête : oui. C’est néanmoins un conflit intérieur... J’ai pour impératif d’être franche et logique. On m’a “validée” car j’apportais quelque chose de neuf et parce je n’allais pas toujours avec ou contre le courant pour poursuivre un positionnement au détriment de mon honnêteté intellectuelle. Qui te lit en premier ?

Ma communauté, avant mes amis. Ma famille ? Je crois ne pas les intéresser... Rien d’un peu intellectuel n’impressionne ma sœur, pour qui, par exemple “ faire des études c’est facile quand on est intelligent ”. Mon frère pensait que le “BITCH Club” allait me fermer des portes, champion. Quant à ma mère… Elle considère que ce qui est produit sur des outils numériques est virtuel et vain. Elle ne comprend pas à quoi sert le divertissement quand il ne passe pas sur France 2 dans le Plus Grand Cabaret du Monde. Papa n’a quant à lui pas de portable donc c’est réglé. T’avais ou tu as des modèles artistiques qui t’inspirent ? Dans l’écriture ou autre.

Je vais être très classique : Françoise Sagan, par exemple. Puis, je n’ai rien lu de la “nouvelle scène” depuis longtemps. Les réseaux ont pas mal pollué mon appréciation du littéraire. C’est pas parce qu’une nana ou un mec sait bien faire sa promo sur Instagram qu’il ou elle est bon/bonne ou “ brillant.e“.

C’est quoi tes lectures ?

Pour être honnête, je ne lis plus trop. Ah, je déteste le fantastique ! Quand ça n’existe pas, ça ne me parle pas. Par exemple, Star Wars, ça ne m’apprend rien, ça m’ennuie, comme les trucs avec les hobbits. Sans vouloir faire l’intello, je suis plus du genre à lire des trucs de philo/socio ou à écouter des podcast, même si ça me dépasse, ça me dépasse souvent d’ailleurs. Je n’ai pas la prétention de tout comprendre mais j’espère capter quelques idées en m’entêtant. Je reconnais aimer les huis clos dans les navettes spatiales… ils ont le goût de “ça pourrait arriver”, pour moi.

Tu serais flattée que …. adore ce que tu fais ?

Les gens plus intelligents que moi.

Tu serais emmerdée que… adore ce que tu fais ?

Je suis emmerdée par les crétins qui me disent “Ah mais je suis trop d’accord avec toi !” alors qu’ils n’ont rien compris à mon message. Parfois ils développent leur propos et je me rends compte qu’on ne parle pas du tout de la même chose. Être validée par des gens qui tombent à côté du message, c’est pas terrible. Je me demande si j’ai été mauvaise ou si je suis lue aussi par des cons. Dans tous les cas, ça n’est pas une bonne nouvelle.

C’est quoi le pire compliment qu’on puisse te faire ?

Ah c’est trop drôle ce que tu fais” ou pire, “Ah ça dénonce ! ”.

Et le meilleur ?

.“Ce que tu fais est intelligent.” Ça, ça me fait vraiment plaisir ! Le “c’est drôle” ou c’est intéressant est un peu acquis. Si on en arrive là, c’est induit…

L’argument imparable pour s’abonner à ta newsletter ?

C’est tout ce qu’on pourrait se dire si on buvait un verre ensemble !

À la tienne.

Santé !

Retrouvez ici Comptoir, la newsletter servie bien fraiche d'Inès.

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